« Les animaux grouillent. Par centaines chevaux, chiens, et à la belle saison, pendant les grandes fêtes, des essaims d’insectes énormes, libellules, papillons, hyménoptères, scarabées géants, papillons et bien d’autres oubliés, perdus. La nuit ces millions ailés s’engouffrent aux flammes des feux et des torches. Cela fait un bruit terrible. » Beau Gilles vit dans une opulence inimaginable, entretenant à lui seul une garde privée de plusieurs centaines de soldats. Autour de lui tout plie et meurt à sa guise, sans doute essaye-t-on d’excuser pour la gêne occasionnée, le féal que Gilles vient d’écraser. Jouer avec la vie des êtres, passer ses fureurs sur eux lui conserve un très louable respect. La soumission elle-même avait plus de panache qu’aujourd’hui, où elle passe pour de la dignité. Il s’entiche d’un Italien qui lui promet l’apparition du Diable en personne. Il en a bien besoin pour renflouer sa fortune épanchée dans le luxe et l’ostentation. Hanté d’une superstition farouche, Gilles devient comme un enfant dans le noir et l’Italien lui fait apparaître le démon dans chaque craquement, toute lueur. Jugé, il confesse tout. Résigné au sort d’être brûlé, il ne désire qu’une seule chose : la magnificence d’une procession l’accompagnant jusqu’au lieu du supplice. C’est le jour de splendeur de cet homme glorieux. Ce fut ce jour-là, et non celui de Louis XVI, que périt l’aristocratie.

Cette biographie du maréchal de Retz revoit le jour par un accident dont la presse s’est tant fait l’écho qu’il est inutile de le répéter. On s’était longtemps demandé pourquoi Sade n’avait pas rédigé une histoire de Gilles de Montmorency-Laval, ce prince dont il n’a pu manquer d’envier la très brillante carrière, très complète, de guerrier, d’homme de théâtre, de dévot, de suppôt et de tortionnaire, tout-en-un. En vérité c’est par le biais de la littérature, art qui, passé l’invention du roman, a usurpé les droits du vivre, que l’auteur des Journées de Florbelle a fait plus que se dédommager de ne pas pouvoir accomplir tant d’actions héroïques, en les narrant par le menu des phrases. À ce stade, Sade n’est pas plus prisonnier que les autres hommes. Triste période humaine sans doute, mais qui recèle encore trace de sa splendeur par les raffinements de l’art, même si la lâcheté y prédomine, lueur qui flageole subtilement dans la sophistication. Avec Vie de Rais, l’imagination du Marquis brise les rets du langage et surprend par l’ampleur que prennent ses tableaux. Terribles tortures coulant dans l’eau profonde et avide de l’oeil du Maréchal, visages d’enfançons tordus par le désespoir et la folie, prouesses au combat au sommet des remparts, mystères plus somptueux que des tapisseries animées, processions luxueuses, le quéâtre est au comble de sa splendeur originale dans cette vie figurée, enrubannée, caparaçonnée et cloutée, ruisselante d’or et de sang, d’un seigneur qui est le sommet de la souveraineté possible de l’homme occidental. On se demande comment Sade a pu se confronter à un modèle aussi douloureux pour lui. Son courage n’en est que plus remarquable. Vautréamont


La collection
le livre à deux pages, dirigée par Vautréamont, a la vocation de publier autant des oeuvres originales que de rééditer tout le catalogue de la littérature générale condensé en des livres à deux pages, d’un abord simplifié, moins onéreux et moins encombrants.
accédez gratuitement à la collection complète en pdf téléchargeable et imprimable (carte 150mg minimum conseillé, reportez-vous aux TxT02, TxT03, TxT04 et pour la reliure prestige, au TxT10) DEUX exemplaires obtenus pour chaque recto-verso